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Des gens très bien par Alexandre Jardin (Extrait 1)

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Message  Admin Jeu 13 Jan - 4:11

Un extrait de Des gens très bien par Alexandre Jardin
Par Lire, publié le 07/01/2011 à 07:00

C'est peu dire que l'auteur de Fanfan et de L'île des Gauchers ne manquera pas de surprendre son monde avec ce récit inclassable - roman, enquête, autobiographie ? - qui décape brutalement le portrait aux traits trop adoucis de son légendaire grand-père, baptisé "le Nain Jaune" par son fils Pascal Jardin, le père d'Alexandre. Or ce dernier, ayant lui-même contribué à embellir l'histoire familiale, se décide aujourd'hui à révéler qui fut vraiment Jean Jardin (1904-1976), homme politique influent, directeur de cabinet de Pierre Laval de mai 1942 à octobre 1943. Autrement dit un homme au coeur du pouvoir collaborateur qui orchestra la rafle du Vél d'Hiv, le 16 juillet 1942. Le petit-fils raconte aussi comment, adolescent, il a peu à peu commencé à comprendre la portée des responsabilités glaçantes de son aïeul, dont sa famille ne parlait jamais ; avant de s'interroger sur les chemins qui conduisent des gens très bien vers les destinations les plus abominables, sans jamais songer à faire demi-tour. Voilà sans doute le livre le plus grave d'Alexandre Jardin.

Né Jardin, je sais qu'il n'est pas nécessaire d'être un monstre pour se révéler un athlète du pire. Mon grand-père - Jean Jardin dit le Nain Jaune - fut, du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, le principal collaborateur du plus collabo des hommes d'Etat français : Pierre Laval1, chef du gouvernement du maréchal Pétain. Le matin de la rafle du Vél d'Hiv, le 16 juillet 1942, il était donc son directeur de cabinet ; son double. Ses yeux, son flair, sa bouche, sa main. Pour ne pas dire : sa conscience.
Pourtant, personne - ou presque - n'a jamais fait le lien entre le Nain Jaune et la grande rafle, étirée sur deux jours, qui coûta la vie à la presque totalité des 12 884 personnes arrêtées ; dont 4 051 enfants.
En tout cas pas les Jardin ; et certainement pas mon père Pascal Jardin, dit le Zubial. Trop habitué à congédier le réel.
Les secrets de famille les mieux gardés s'affichent parfois sous leur meilleur profil. Dans une lumière éblouissante qui les rend presque invisibles. Comme ces toiles de maître volées sous Hitler à des collectionneurs juifs puis accrochées aux murs des salons allemands. Les héritiers actuels ont beau les avoir sous le nez, éclairées avec soin, aucun ne voit leur origine glaçante. Ma famille fut, pendant un demi-siècle, championne toutes catégories de ce sport-là : s'exhiber pour se cacher. Mettre du plein soleil là où, chez nous, il y avait eu trop de nuit et de brouillard. En ayant le chic pour enrober l'intolérable de bonne humeur, d'ingénuité et de pittoresque.
Comment ai-je fait pour me dégager de la vérité officielle de nos ascendants si fidèles à Vichy ? pour finir par accepter ma honte d'être de cette lignée-là de gens supposément "très bien" ? Et ma colère devant l'évidence que le pire pût être commis dans nos rangs sans qu'on y ait jamais vu à mal. Sans que la moindre gêne fût ouvertement exprimée. Même si, bien sûr, il ne m'a pas échappé que les vrais commanditaires de l'horreur furent avant tout des Allemands : Heinrich, Oberg, Dannecker, Knochen et d'autres.
Ce secret français tient en une scène, que j'ai mis vingt-cinq ans à voir avec la bonne focale.
Chacun des Jardin aurait pu la convoquer dans son esprit mais, préférant le refuge du flou à l'horreur de la netteté, nous ne savions pas comment regarder de face sans suffoquer une telle débâcle morale. Comme des millions de familles françaises, anxieuses d'ouvrir les placards moisis de la collaboration.
Sauf que chez nous, l'affaire était énorme ; comme souvent chez les Jardin habitués à l'improbable. Et aux épisodes où l'Histoire exagère. Cette fois, la vérité sombre était dissimulée sous des kilos de gaieté, des centaines de pages de littérature chatoyante, un vrac de souvenirs cocasses, une tornade d'anecdotes. Moi-même, j'y ai contribué en perpétuant la légende nourricière des Jardin ; farcie de galopades et de situations enjôleuses. En m'abritant systématiquement derrière un masque de légèreté, un optimisme de façade, une fausse identité frivole. Issu de la honte, j'ai choisi le rire ; un rire longtemps forcé.
Pour faire oublier ma double vie, plus mélancolique.
Une existence parallèle et ombreuse que j'ai toujours pris soin de dissimuler ; en m'affichant comme un auteur de romans ensoleillés. Et amoureux du rose. Cette vie-là fut celle d'un homme au front nuageux qui, depuis l'âge de seize ans, tourne autour d'une scène qui continue de lui couper les jarrets. Un épisode qui m'a éclairé sur les gens intelligents et très convenables qui commettent l'irréparable en se réfugiant dans les bras de leur bonne conscience. Un chapitre vichyssois qui m'a conduit dès la sortie de l'adolescence à mener une réflexion obsessionnelle - et quasi clandestine - sur les destructeurs des Juifs et leurs collaborateurs. Méditation directement issue de ma position particulière. Qui reste non pas une étoile jaune mais une croix. Et pas une croix de Lorraine.

Biographie
Né à Neuilly-sur-Seine en 1965, diplômé de Sciences Po, Alexandre Jardin est un auteur à succès depuis ses débuts : prix du Premier Roman en 1986 pour Bille en tête - qu'il adaptera lui-même au cinéma -, prix Femina en 1988 pour Le Zèbre, sans parler de tous ses best-sellers, du Petit sauvage à Quinze ans après, paru en 2009, en passant par ses livres pour enfants, notamment la série des Coloriés. Cofondateur en 1999 de l'association Lire et faire lire, l'écrivain s'engage également à promouvoir la lecture en prison à travers l'association Mille mots.
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